Les années ont passé. Le temps a fait son oeuvre, apportant son lot quotidien de joies et de peines. Nos jeunes vies ont déjà ete bien marquées du sceau de la douleur, de la désillusion passagère, Dieu merci, mais aussi de joies et de récompenses.
Constat certes un peu banal, puisque c'est, en fin de compte, le sort de tout un chacun.
Pour Margaut et moi, ballottés au gré des guerres et des voyages, la maturité est venue plus vite. Notre détermination grandissante à nous unir a pu heureusement nous éviter de nous aigrir et nous gardons, envers et contre tout cette âme d'enfant, entre candeur et espièglerie, qui ne nous ont jamais fait défaut. Sans doute est-ce cette identité de tempérament qui, malgré nos différences, soude nos vies à jamais.
Car derrière ces simulacres de chamailleries qui sont devenues un jeu, un rituel presque, se dissimule très mal un Amour indéfectible. Il n'est plus besoin de faire la preuve de notre complicité. Nous sommes unis par des liens délicatement tissés tout au long des épreuves que nous avons traversées la tête haute et la main dans la main.
Ni les guerres, ni les deuils n'ont eu raison de ce sentiment puissant qui nous jette dans les bras l'un de l'autre à chaque fois que nous craignons de défaillir.
La mort des parents de Margaut, la retraite de Gil et les absences de Mère nous ont définitivement livrés à nous-mêmes. Malgre un coeur lourd de ces séparations, de ces pertes, nous avons finalement décidé de tirer un trait sur notre passé. C'est à nous, et à notre conscience, de poursuivre la route, de prendre notre indépendance, notre envol.
L'Auvergne est devenue terre inconnue... nous n'y retrouvons plus cette douceur de vivre qui fut la nôtre des années durant... La Gascogne est bien loin... Père s'est retiré chez les moines et Mère a abandonné la forge pour suivre les dames Blanches. Qu'en est il de son fief accordé par feu Pierre de Roanne ?... Nous n'en savons rien.
Après moultes discussions, il est apparu que nous avons fait le tour de toutes les éventualités quant à notre devenir et, contre toute attente, seule la Maison Trévière semble nous tendre les bras.
Il ne nous fallut dès lors que peu d'hésitations : Nous allions prendre la route et tenter de rejoindre l'Armagnac, berceau de ma famille avec la ferme intention de nous y marier enfin.
C'est pourquoi en cette froide soirée de Janvier nous nous trouvons, chevauchant calmement botte à botte, comme à l'accoutumée, dans cette allée sombre qui mène au domaine Familial des Trévière : Astarac !
Je n'ai que peu de souvenir de cette austère et majestueuse demeure, mais il me semble en cet instant qu'ici, le temps s'est arrêté... laissant la nature reprendre ses droits.
Autrefois méticuleusement entretenus, les abords de l'imposante bâtisse sont aujourd'hui à l'abandon. La poigne du Patriarche semble s'être desserrée et Astarac geint d'une douloureuse mélopée qui se perd dans la folle végétation du Domaine.
Qu'allons nous trouver icelieu ?
Je tends la main vers ma Douce fiancée et, une fois de plus, la magie opère... Nos doigts se retrouvent emmêlés en une tendre et rassurante étreinte... nos regards se croisent muets, mais tellement éloquents.
Alors que la nuit commence à couvrir de son manteau de ténèbres la nature environnante, nous débouchons sur une aire dégagée. L'allée que nous empruntons s'arrête au pied de ces murailles plusieurs fois centenaires. Le pont levis est abaissé, mais une lourde herse nous barre l'accès au Château.
Mettant les mains en porte voix, je me dresse sur mes étriers et d'une voix forte :
- HOLA !!... Margaut de Roanne et Eamon de Trévière demandent à être reçus à Astarac !!
Il n'y avait plus qu'à attendre qu'un garde ou un chambellan se manifeste. Je me tourne vers Margaut :
- Depuis que le Patriarche s'est retiré, Astarac a bien changé, mais je suis certain que nous y serons bien accueillis, tu verras...
Et je lui repris la main avec chaleur.